dimanche 29 mai 2011

Serge Gainsbourg était-il homosexuel ?

INTERVIEW de Gilles Verlant par StreetPress - 4 Mai 2011


«Pétochar», «pro-Giscard», «homo refoulé», le biographe Gilles Verlant décrit un Serge Gainsbourg à des années-lumières de «cette image de mec super cool qu'il projetait». En plus « il n’a jamais touché à la drogue »

Serge n’a jamais joué de ses origines Juives ; sa première femme, Lise Levistky était la fille d’un SS d’origine Russe qui s’était engagé pour chasser les communistes de Russie et récupérer ses propriétés. Tu penses qu’il aurait accepté d’aller dîner au CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives) si Sarko ou Richard Prasquier l’avaient invité ?

Il ne faut jamais oublier que la famille de Serge a porté l’étoile jaune pendant la guerre. Donc, Serge a été directement victime de l’anti-sémitisme et du racisme. Qui plus est – j’ai relevé ça dans la dernière édition de la biographie , il y a quelque chose de très troublant : Quand Serge passe le cap de l’adolescence, il voit sa gueule dans un miroir avec ses grandes oreilles, ses yeux mis clos et son grand nez et au même moment, sur les murs de Paris on peut voir les affiches qui disent : Apprenez à reconnaître le Juif !

Ça, je pense que c’est un traumatisme majeur et le complexe de laideur qu’il a développé, il s’est toujours trouvé très laid – sauf sans doute avec Jane qui l’a un peu réconcilié avec son physique mais passé le cap des 40 ans – c’était lié à une trouille. Sa gueule aurait pu l’emmener en camp de concentration ! Donc, le racisme, Serge en était extrêmement conscient. En plus de ça, il avait une sorte de méfiance – raison pour laquelle il avait voulu, dans les années 70, enregistrer cet album sublimissime et méconnu mais qui a mal vieilli à cause des arrangements musicaux et qui s’appelle « Rock around the Bunker » sur lequel on trouve « SS in Uruguay » ou « Nazi Rock. » Album qui ne s’est pas vendu à l’époque car, oubliant même que Gainsbourg était juif, on ne le comprenait pas. Pourtant il était parfaitement légitime pour faire ce disque-là et certains de ses meilleurs textes sont sur ce disque.

Après ça, on se demande pourquoi Serge a composé cette marche militaire pour Israël pendant la guerre des six jours, « Le Sable d’Israël »? Pourquoi a-t-il fait cela ? D’abord, au départ on ne savait pas que cette guerre allait durer six jours, petit rappel historique ! Et au bout de deux trois jours, l’Ambassade d’Israël avait lancé un appel aux artistes Juifs Français pour soutenir le moral des troupes. Serge avait répondu favorablement et avec Michel Colombier avait torché un truc en dix minutes ; Le Sable d’Israël, enregistré à Bobino et envoyé à Tel-Aviv.

Est ce que pour autant il n’a jamais eu envie de retourner sur la terre de ses ancêtres en Russie ?

Non. D’abord il avait les chocottes car on était encore sous le régime des Bolcheviques, des Soviétiques et même après la Glasnost, il aurait pu y aller mais il ne l’a pas fait et il n’a jamais mis les pieds non plus en Israël où ses parents sont allés par contre. Son engagement était donc très limité.

Il a pris de drôles de positions parfois ; pourquoi est ce qu’il soutient Giscard en 1974 ? Pourquoi retrouve t-on son nom sur des pétitions en même temps que celui de Mireille Mathieu ou de Johnny ?

Simple, Gainsbourg était un pétochard ! Son obsession, c’étaient les Bolcheviques, les Communistes ! Il avait raison mais, au milieu des années 70 c’était mal vu ; Georges Marchais avait d’ailleurs qualifié cela d’anti-communisme primaire même si on savait ce qui se passait dans les goulags; merci Soljenitsyne ! Serge soutenait Giscard car dans l’union de la gauche, il y avait les socialistes et le parti communiste. Ça représentait pour lui un vrai danger !
Gainsbourg était un symbole d’individualisme; contrairement à d’autres artistes et collègues, il n’a jamais défilé pour mai 68 par exemple…

Sur la fin, comme disait Desproges, Serge était malade et n’aurait pas dû s’exhiber dans de tels états. Toi qui est l’un des derniers à l’avoir rencontré et interviewé, sa supposée saleté et son laisser-aller gitannesque étaient-ils des légendes urbaines ou provoquaient-ils de véritables migraines ?

Desproges avait été assez loin quand même. Il avait dit : « J’aimais bien Gainsbourg de son vivant. » Alors que Gainsbourg était vivant…! Il y a deux choses : certaines apparitions TV de Serge qui me faisaient physiquement mal, en tant que fan. Je le voyais se décomposer et je me disais: « Mais comment est-ce que ce poète et compositeur d’exception que j’aime tellement peut-il se détruire à ce point-là ?» Mais en privé, quand je l’interviewais au 5 bis rue de Verneuil – on a fait une centaine d’heure d’interview ensemble – je ne l’ai jamais vu bourré. Sauf une fois, à la sortie de « You’re Under Arrest » où il avait reçu plusieurs journalistes dans la journée et il avait picolé. Il prend un disque, le met sur sa platine vinyle qui était posée au sol et en voulant se relever, il tombe les quatre fers en l’air ! C’est la seule fois où je l’ai vu bourré. Gainsbourg était absolument charmant, adorable et attentionné. La seule chose désolante, c’est que je ressortais de chez lui avec une barre comme ça, non pas parce que j’avais picolé mais à cause de ses putains de Gitanes ! Et sur la fin, Gainsbourg qui avait dû lever le pied sur l’alcool avait retrouvé ses facultés. Il parlait plus vite, il ne se répétait pas…

Il n’en reste pas moins que ce mec est mort à 62 ans dans un état déplorable ! Là, je vais en avoir 54 et je me dis que par rapport à ses 54 ans, quand j’ai commencé à travailler avec Gainsbourg, je pense être dans un meilleur état. Mais ça fout les jetons ! « Ne buvez pas et ne fumez pas de Gitanes les enfants. » Il n’a jamais touché à la drogue cela dit. Enfin si, il a fumé un pétard une fois et ça lui a donné une telle tachycardie qu’il a flippé sa race !

Tu ne vas pas me dire que Serge était toujours blanc comme neige?

Si si. Serge n’a pas touché à la drogue, sauf cette unique fois où, alors qu’il tournait « Les Chemins de Katmandou » au Népal avec Jane Birkin, il a goûté aux spécialités locales. Mais ça l’a rendu tellement malade qu’il n’y a plus jamais touché. La drogue, il l’a vue autour de lui, il a vu ses ravages ; dans l’univers du show biz, évidemment, avec des musiciens, avec des gens de la nuit qu’il croisait…et puis, très prés de lui puisque Kate Barry (première fille de Jane Birkin) qui après ça, a monté des associations d’aide aux toxicos était dans un milieu où la défonce était monnaie courante. C’est d’ailleurs Kate qui lui a donné les mots dont il se sert dans la chanson « Aux Enfants de la Chance » qui a surpris les fans de Gainsbourg.

Alors que Serge projetait cette image de mec super cool qui incarnait la liberté de ton, d’allure – tous les mecs aujourd’hui ressemblent à Gainsbourg dans leurs cotés débraillés, pas rasés, jeans déchirés… – et donc c’était assez surprenant de la part de Serge, accroc au tabac et à l’alcool, les deux drogues majeures dans ce putain de pays, qu’il ose dire ça. Mais c’est parce que l’héroïne et tout le reste, il en avait très très peur ! Et puis il avait sous la main une certaine Bambou qu’il a aidée à sortir de l’héroïne comme elle le raconte dans le livre qu’elle a écrit il y a quelques années.

Serge a toujours raconté être ultra-porté sur le sexe et la sodomie (entre autres); pratique qu’il a toujours revendiquée et notamment au travers de Jane dans son film « Je t’aime, moi non plus.» De même, certains de ses textes, des déclarations de sa première femme (comme quoi il aurait même fait le tapin) et le physique androgyne de Jane et de Bambou peuvent laisser envisager qu’il n’était pas insensible aux charmes masculins. Alors, Serge, véritable épicurien du sexe, bi non assumé ou homo refoulé ?

Je pense que Serge a eu, il l’a raconté à la sortie de « Love on the Beat » qui contient plusieurs chansons qui évoquent directement le thème de l’homosexualité, une ou plusieurs expériences homosexuelles et ça c’est mal passé. Comme il aimait bien les détails sordides, il avait même raconté qu’il y avait eu de la merde partout et que ça ne lui avait pas plu ! Donc oui, il a peut-être essayé et effectivement Jane était très androgyne mais Serge avait une fixation qui peut être considérée par certains psychologues comme un aspect de l’attirance homosexuelle, il était attiré par les hyper femmes. C’est-à-dire qu’il a eu très tôt dans sa vie une attirance pour les grandes bourgeoises, très féminines. Il avait été très amoureux de Michèle Arnaud, très féminine, très classe, très femme, très bourgeoise (qui chante « Ne dis Rien » sur la BO d’Anna). Puis, il est tombé sur Jane, très androgyne, plate comme un garçon – c’est trop con !

Il avait une fixette sur les fesses…et puis, why not ?« Des trois orifices, je choisis dans le moins lisse d’achever de m’abandonner. » Magnifique !

Gainsbourg disait que celui qui n’a pas lu « Jésus-Christ Rastaquouere » de Picabia était un con ! Je ne te demanderais pas si tu l’as lu, par contre, crois-tu que Christophe Maé l’ait lu ?

Je pense qu’il est évident qu’une des grandes qualités de Gainsbourg c’était sa culture. Cela dit, sa culture était vaste mais centrée sur certaines époques. On était dans le Dandysme de la seconde moitié du XIXe siècle avec Huysmans, avec Baudelaire, avec Benjamin Constant…puis, avec les Dadaïstes du début du XXe, des gens comme Picabia. Je pense que Serge regrettait de ne pas être né 50 ou 100 ans plus tôt. Il est évident que quand il disait que celui qui n’a pas lu Jésus-Christ Rastaquouere de Picabia est un con, c’était de la pure provoc et du snobisme de sa part puisqu’il savait très bien que ce livre avait été tiré à mille exemplaires à l’époque et que trouver un copie de ce bouquin, bonjour ! Mais c’est vrai que cette avance qu’il avait sur la connaissance des poètes comme Rimbaud, Baudelaire et tous les autres ce n’est pas donné à tous les paroliers et ce n’est certainement pas donné à tous les artistes qu’on entend bêler dans le Top 50.

Toi qui a dû tout entendre et tout lire sur Serge, parfois hilare ou navré, quelle est la question la plus conne qu’on t’ait posée sur lui ?

(rires) La question la plus conne qu’on m’ait posée sur Gainsbourg ?! Là, ça mérite que je réfléchisse… On me pose souvent des questions clichés : Quels sont les héritiers de Gainsbourg ? Est ce qu’on va faire un musée de son hôtel particulier du 5 bis rue de Verneuil ? Est ce que Serge nous a laissé des chansons inédites ? Celles-là, j’en ai jusque-là !

Mais il y a encore des questions qui dénotent une certaine agressivité et ça, j’adore ! Gainsbourg n’a jamais été et ne sera jamais consensuel. Il n’y aura jamais une sorte d’adoration aveugle. Il y a trop de gens qui détestent encore instinctivement dans leurs tripes ce que Gainsbourg représentait. Et ça, c’est formidable ! Il faut que ça continue ; soyez de plus en plus nombreux à détester Gainsbourg parce qu’il ne faut surtout pas qu’il devienne un produit de consommation courante. Il y a plein d’artiste dont on dit aujourd’hui : « Ah, Jacques Brel ! L’immense poète, etc.… »

Jacques Brel a fait des chansons merdiques, il a fait des textes nazes, il a commis l’épouvantable « Ne me quitte pas » et aujourd’hui, Jacques Brel est déifié… Surtout, que cela n’arrive jamais à Gainsbourg ! Faut pas le déifier lui, surtout pas.

Serge Gainsbourg était-il un plagieur ?

INTERVIEW de Gilles Verlant pour Streetpress, 3 Mai 2011

Les 20 ans de la mort de Serge Gainsbourg ont provoqué une inondation d'hommages. Voici la première «anti-interview» de Gainsbourg : Sur StreetPress Gilles Verlant, biographe de Serge, flippe d’une reprise de Gainsbarre produite par… David Guetta.


Ton dernier livre, écrit avec Loïc Picaud, nous narre les histoires de ses plus belles chansons ; quelle était selon lui sa plus mauvaise chanson ?

Vers la fin des années 80, Serge commence à être sérieusement en mal d’inspiration, même s’il a toujours quelques fulgurances qu’il garde curieusement pour Jane. Il y a des jolies choses sur les albums de Jane comme « Amour Défunte » qui sort quelques mois avant la mort de Serge. Mais sur son propre album «You’re under arrest» qui sort en 1987, il y a des trucs vraiment faiblards ! Je pense à « Bye Bye Samantha », « Glass Securit » ou « Suck Baby Suck »…ça fait beaucoup ! C’est triste parce qu’il était dans une logique d’escalade avec le style Gainsbarre et il pensait devoir aller à chaque fois plus loin dans la provoc en oubliant sa qualité majeure qui était celle de poète.

Toi qui l’as souvent rencontré et interviewé, quel était son plus mauvais souvenir en tant qu’artiste ?

Je crois qu’il y a deux très mauvais souvenirs : d’abord la première partie d’une tournée de Barbara en 1965. Elle avait insisté pour l’avoir en lever de rideau et l’avait embarqué en province mais aussi au théâtre de l’Est Parisien mais Gainsbourg est hué par le public de Barbara. À tel point que Barbara m’avait raconté qu’un soir elle était montée sur scène pour dire : « Comment osez vous huer un poète et un chanteur tel que lui ? »
Mais Serge avait eu sa revanche car, deux mois plus tard, France Gall remportait l’Eurovision avec « Poupée de cire Poupée de son. »%

L’autre mauvais souvenir date de la première moitié des années 70 : Il s’était retrouvé, je ne sais pas comment, dans la France profonde (peut être sur un tournage de Jane), dans un troquet où un mec leur offre des coups à boire ; jovial et sympathique jusque-là, il leur propose de terminer la soirée chez lui, en arguant peut être qu’il a des choses rares à leur faire déguster. Ils le suivent dans la cambrousse.

Mais, arrivés chez lui, le mec change d’attitude et commence à menacer Serge et Jane et leur dit : « Maintenant vous allez chanter pour moi ! » Serge répond : « Je ne chante que quand je suis payé » et là le mec sort une carabine et fait monter Serge sur une table pour qu’il chante…je ne sais pas comment ils s’en sont tirés. Comme quoi, boire un coup avec des fans, c’est moyen comme idée !

Véritable misogyne ou acteur de talent, il ne dédaignait pas critiquer et remballer les personnalités qu’il n’appréciait pas. Peux-tu nous citer un artiste de son époque qu’il n’aimait particulièrement pas ?

On peut procéder par élimination : il n’a jamais écrit pour Johnny Hallyday! Est-ce que ça veut dire qu’il ne l’aimait pas ou que la rencontre ne s’est pas faite ? Entre parenthèses, il y a pourtant eu des rencontres inattendues comme celle avec Mireille Mathieu. Il devait écrire pour elle et il paraîtrait qu’un enregistrement appelé Desesperado existe. Ce qui semble surréaliste ! Serge avait un carnet de commande et il acceptait un peu tout et n’importe quoi pour le côté financier mais en détournant toujours le tir ou le message. Quand il a fait chanter « Laisse tomber les Idoles » ou à fortiori « Les Sucettes » à France Gall, c’était un façon de la mettre en décalage totale avec les chansons qu’elle chantait jusque là comme « Charlemagne » et autres conneries !

Il n’y a pas eu non plus de rencontre Gainsbourg/Sheila ; on peut en déduire ce qu’on veut… Mais, parfois, même avec des artistes avec qui il travaillait il n’était pas tendre ! Alain Chamfort, il l’avait surnommé Chamfaible ! Ce qui était un mauvais jeu de mot. Il avait fait la même chose avec Deneuve qu’il appelait Doccaze ! C’est discourtois par rapport à des gens qui l’ont toujours soutenu et qui ont chanté ses titres mais Serge était blessé dans ces cas-là par l’insuccès.

Chamfaible, c’est parce qu’il avait été déçu par le bide du premier album qu’ils avaient écrit ensemble. Mais il y avait également des histoires de filles là-dessous. Alain était avec Lio, Serge avec Bambou ; Serge avait dragué Lio…des histoires pas claires !

Deneuve c’est aussi parce que l’album ne s’est pas vendu alors que Catherine a été d’une aide essentielle lorsque Serge était au fin fond de la dépression, enfin, l’une des fois où il a été au fond du trou, notamment quand Jane est partie. Et parfois il sortait également des vacheries à propos de vraies copines. Un jour, je lui avais demandé : « Serge, il paraît que Régine va remonter sur scène ? » et il avait répondu du tac au tac : « Comment ? Avec une grue ?” !!! »

A ton avis, quand France Gall a-t-elle compris que les sucettes à l’anis qui coule dans la gorge d’Annie n’avaient rien de sucré et s’avéraient même avoir un goût salé ? Penses-tu que France Gall ait pu goûter aux sucettes à l’anis de Serge le confiseur ?

Je crois qu’il n’y a rien eu entre Serge et France. Serge disait : « J’avais l’essence, mais elle n’avait pas le briquet ! » , ce qui n’était pas sympa non plus. France Gall, au moment où elle chante « Les Sucettes » sort avec Claude François. Connaissant la réputation de bête de sexe de Cloclo, il est curieux de savoir que quelqu’un ait dû lui expliquer peu de temps après la sortie du 45 tours la signification du texte de Serge. Elle est restée 15 jours enfermée, complètement mortifiée de honte et ne l’a plus jamais chantée !

Pourtant, il existe des mises en scène de cette chanson qui ne pouvaient pas lui laisser de doute. Jean-Christophe Averty avait fait une adaptation TV des Sucettes où des filles suçaient des sucettes géantes molles, d’une façon on ne peut plus suggestive… ! Il faut dire que si aujourd’hui, depuis Les Nuls, tout le monde fait des allusions au cul à un point que ça en est harassant, à l’époque, nous sommes sous De Gaulle, et Georges Pompidou est premier ministre !


Pas mal de succès de Serge mondialement connus s’avèrent être pompés ou empruntés à certains de ses auteurs préférés: Verlaine, Baudelaire…ou à ses premiers arrangeurs comme Alain Goraguer. Idem pour ses « mythes » : comme le fait qu’il aurait vécu chez Dali alors que c’était pas lui mais sa première femme Lise Levistky…Peux-tu nous citer un de ses hold up musicaux ?

En fait, Serge s’arrangeait avec la vérité. Il s’arrangeait avec la réalité parce que l’interprétation est plus belle que la vraie vie. Il a passé quelques jours chez Salvatore Dali grâce à celle qui était sa première femme à l’époque. C’est évident qu’il a également pompé beaucoup de choses musicalement ; d’ailleurs il se qualifiait lui-même d’escroc et de grand faussaire. Mais il faut savoir voler ! Tout le monde vole.

On est dans une période, depuis les années 90 où tout est recyclé à l’infini, dans tous les sens, à l’endroit, à l’envers…ce qu’il faut, c’est le faire avec intelligence, avec talent. Il n’y a qu’un certain nombre de notes dans la gamme et qu’un certain nombre de mots dans le dictionnaire, après ça, il faut juste être malin. Et je pense que Serge était un gros malin, à l’évidence !

Et quand bien même il aurait piqué des trucs en oubliant parfois de créditer comme quand il chante « Charlotte Forever » sur un thème de Khatchatourian, qu’il signe Gainsbourg et que les ayants droit de Khatchatourian poussent des cris, à juste titre d’ailleurs…il y a eu des arrangements à la SACEM en sous main. Idem pour le travail de ses arrangeurs; c’est évident que ce soit Goraguer, Michel Colombier, Jean Claude Vannier, les arrangeurs anglais avec lesquels il a travaillé dans les années 60…il est évident que Serge a pu compter sur eux. Eux étaient fiers et enthousiastes de travailler avec un authentique avant-gardiste de la chanson et au moment où ils découvraient la pochette du disque, ils découvraient qu’ils n’étaient pas crédités comme co-compositeurs !

Après quelques coups de gueule, d’un tirage à l’autre, des crédits ont été rajoutés sur les disques. Le plus souvent, c’étaient des arrangements dissimulés à la SACEM. Les mecs, en fait, touchaient de la thune, mais n’étaient pas crédités.

Jean Claude Vannier – peut-être un peu extrémiste quand il me dit ça – croisé à une fête il y a quelque temps et à qui je disais combien j’étais déçu de ne jamais avoir eu son témoignage pour mes livres, me répond qu’il ne parle jamais de Gainsbourg. Mais quand vous avez fait votre version de « L’histoire de Melody Nelson » à la cité de la Musique, vous en avez un peu parlé. Et là, il me répond : -«Mais vous savez, Gainsbourg, il foutait rien !» Bien sûr, il exagère quand il me dit ça mais je pense que Serge écrivait les grilles harmoniques, la structure couplet refrain mais après ça, il disait : Mon vieux, tu te démerdes ! Et à la limite, pourquoi pas…?

Surfant sur le nuage de nicotine qui entoure les 20 ans de sa mort, certains artistes de talent ont rendu un hommage à Serge en reprenant un de ses titres. En marge, certains autres petits malins envisagent de faire des cover que Serge n’aurait sans doute jamais cautionnées; as-tu connaissance de l’une d’entre elles particulièrement navrante ?

Navrantes ? Des reprises navrantes des chansons de Serge, le livre que j’ai co-signé avec Loïc Picaud en est rempli ! Il existe des reprises qui montrent une incompréhension totale de l’auteur compositeur et de l’interprète et je pense particulièrement à…je ne vais pas citer de noms, mais beaucoup d’artistes s’intéressent en particulier à la période des débuts de Serge ; côté rive gauche et style poète maudit Jazzy. Grosso modo, de 1958 à 1964. Avec des chansons inoubliables, que ce soit «L’eau à la bouche», « Le poinçonneur des Lilas», «La Javanaise»…etc.

Et, très souvent, les interprètes qui reprennent cela rajoutent du pathos et, du coup, c’est totalement raté ! Gainsbourg lui-même, quand il rajoute du pathos dans des chansons comme Manon – chanson que je déteste même si elle est adorée par nombre de ses fans – quand il surjoue «Ooohh, Maanon», c’est raté ! Le génie de Serge c’était de ne pas montrer ses sentiments. C’était de les balancer comme ça, assez froidement. Pas cyniquement, parce que c’était un vrai romantique. Le tout, c’était de ne pas faire d’effets.

Il ne détestait rien de plus que ce qu’il appelait les coups d’étriers, la dramatisation avec une montée harmonique, un final de plus en plus excité, enlevé comme dans les chansons de Jacques Brel. Il détestait ça ! Gainsbourg c’est l’opposé de ça, ses chansons sont linéaires. Et aujourd’hui, on peut craindre le pire. Même si Will i.Am des Black Eyed Peas est un garçon talentueux, il a glissé dans une interview qu’il aimerait faire une adaptation de «L’histoire de Melody Nelson.» Si en plus de ça c’est produit par David Guetta, alors là, on peut commencer à avoir des sueurs froides !

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