Gainsbourg, l’homme à tête d’affiche
Requiem. A la Cité de la musique, exposition en forme de kaléïdoscope sur fond d’inflation post mortem.
Tous les deux ans en moyenne, la Cité de la musique joue à se faire peur en ressuscitant une grande figure de la musique populaire : John Lennon, Jimi Hendrix, le Pink Floyd… Entreprises risquées, puisque les cendres sont encore tièdes ou radioactives, et que, de surcroît, l’ambition de l’établissement public n’est pas de présenter un déballage pour groupies, mais de resituer l’œuvre concernée dans son contexte historique et artistique. Le résultat a été plutôt convaincant avec Lennon. En revanche, l’expo Gainsbourg, qui ouvre demain, risque de laisser ses visiteurs perplexes.
Qu’y voit-on ? Principalement vingt-quatre totems énigmatiques, couverts de photos et d’écrans où défilent de courtes séquences vidéo. Avec en parallèle, une longue vitrine abritant des reliques, collectées pour l’essentiel dans l’appartement de la rue de Verneuil. Des objets qui ne sont d’ailleurs pas d’un énorme intérêt : brouillons, partitions annotées, livres, ainsi qu’une conséquente collection d’insignes de police (un des dadas de l’artiste).
On se déplace dans cet espace d’écrans et de signes comme on piocherait dans Google Vidéo : l’aventure n’est pas bien enthousiasmante. Mais l’effet est voulu : «Il s’agit avant tout d’une installation autour de Gainsbourg, avec un esprit Internet. La Cité voulait le regard d’un artiste sur un autre artiste»,plaide en substance le commissaire de l’expo, Frédéric Sanchez, 42 ans, designer sonore dans le civil.
Cyber-impressionniste. Hormis cette érection de totems, l’apport de Sanchez a consisté à concevoir un environnement de sons, diffusés par 48 haut-parleurs qui sont un habillement des textes de chansons de Gainsbourg, lus par vingt interprètes. Ceci s’ajoutant aux 24 bandes-son des totems. Nous n’avons pas eu l’occasion d’entendre le mélange final.
Seront déçus ceux qui viendront en quête d’une restitution documentée des multiples facettes de Gainsbourg, ou avec l’espoir de suivre un parcours mettant en perspective la vie chaotique et le travail de cet artiste à la fois éponge et couteau. Mais certains prendront peut-être plaisir à se laisser dériver dans ce tableau cyber-impressionniste des influences de Lucien Ginsburg (pour l’état-civil), qui aurait 80 ans cette année.
Laurent Bayle, directeur de la Cité de la musique, explique : «Il y a trois ans, lorsque le projet est né, Charlotte Gainsbourg songeait à faire de l’appartement de la rue de Verneuil un musée. Il n’était pas question pour l’exposition d’être une préfiguration de ce lieu. Du coup, la piste d’une évocation où les objets auraient été très présents ne nous a pas semblé la bonne.» Le domicile de la rue de Verneuil, resté en l’état depuis la mort du propriétaire en 1991, s’est finalement révélé trop petit pour être ouvert au public. Mais il existait une autre source de mémoire qui coulait à grands flots : la télévision.
Galaxie. Serge Gainsbourg a suffisamment fait le clown dans le poste pendant trente ans pour qu’on puisse trouver là une abondante matière. Partenaire de l’expo, l’INA a pu proposer plus d’une centaine de vidéos. Et c’est ainsi que l’affaire a pris ce tournant kaléidoscopique assez confus.
Toute entreprise para-muséographique autour d’un artiste contemporain doit composer, souligne Bayle, avec les héritiers et les ayants droit. Ceux-ci pouvant se révéler, à l’occasion, soit des obstacles, soit des atouts, parfois les deux ensemble. Dans le cas Lennon, Yoko Ono avait été une grande emmerdeuse, pinaillant sur le moindre détail, mais aussi une actrice essentielle : la richesse de l’exposition lui devait beaucoup - même si la période Beatles n’avait pu y être évoquée qu’en creux, en raison de multiples problèmes de droits.
Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, il semble que la galaxie gainsbourienne (très éclatée, hétérogène) ait regardé le projet d’un œil lointain. Pas d’enjeu, pas de surprises, et à l’arrivée quelque chose d’assez mou. Que l’auteur du Requiem pour un con se démerde tout seul ! Hélas il est mort. «Ecoute les orgues/Elles jouent pour toi/Il est terrible cet air-là.»
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