Jean-Claude Vannier : "Gainsbourg avait un énorme besoin de reconnaissance"
La Cité de la musique, à La Villette, consacre, à partir du 21 octobre, une exposition à Serge Gainsbourg. A cette occasion, l'institution parisienne organise deux concerts événements, les 22 et 23 octobre. Jean-Claude Vannier dirigera avec orchestre, musiciens d'origine et invités de marque, l'album mythique Histoire de Melody Nelson, qu'il avait composé avec Serge Gainsbourg entre 1970 et 1971, et L'Enfant assassin des mouches, étrange disque solo (aujourd'hui réédité), enregistré en 1972. Une première en France, mais pas en Angleterre, où le spectacle avait déjà triomphé, au Barbican Center de Londres, le 21 octobre 2006.
Pourquoi les chansons d'Histoire de Melody Nelson n'ont-elles jusqu'ici jamais été présentées sur scène en France ?
A sa sortie, l'album n'a pas marché. Quand Serge a vu que cela ne faisait pas frissonner les foules, il a laissé tomber. Je crois même qu'il n'a jamais interprété un seul de ces morceaux sur scène. Quand des Anglais m'ont proposé de diriger Melody Nelson et L'Enfant assassin des mouches, à Londres, ils étaient tellement dithyrambiques, que j'ai cru à une blague. Ils m'ont donné de vrais moyens, avec, par exemple, l'orchestre de la BBC et des invités prestigieux comme Jarvis Cocker ou Mick Harvey. Le Barbican était plein quatre mois avant le spectacle. Le soir du concert, les gens applaudissaient, hurlaient. J'avais du mal à réaliser. A Paris, nous serons accompagnés par l'Orchestre Lamoureux et des invités comme Brigitte Fontaine, Brian Molko (de Placebo), Daniel Darc ou Mathieu Amalric.Comment avait été conçu, à l'origine, cet album-concept ?
J'ai rencontré Serge en 1969. Nous avons commencé à travailler ensemble pour la musique de Paris n'existe pas, un film de Robert Benayoun. Il m'a ensuite parlé d'un projet d'album, dont il n'avait que le titre : Melody Nelson. J'avais quelques compositions déjà prêtes. J'ai enregistré ensuite avec les musiciens de l'Opéra de Paris et les choeurs des Jeunesses musicales de France. Serge a écrit ses textes sur ces musiques. L'intrigue de Melody Nelson s'est construite tardivement. Nous avons enregistré beaucoup de choses qui n'ont pas été gardées. Il existe même une version d'une chanson où Serge avait réussi à caser le mot "ras-el-hanout". Il cherchait une rime en "out", je lui avais suggéré ce mélange d'épices oriental. J'ai encore ces bandes, mais je ne fouillerai pas dedans, ce serait irrespectueux.Comment s'est passé l'enregistrement ?
J'aimais l'ambiance cosy des studios londoniens. Les tapis s'étalaient dans le studio, cela lui donnait des airs d'appartement. Les musiciens anglais de l'époque n'étaient pas des rockers sauvages. Ils mêlaient leur modernisme à un côté "thé de 5 heures" que j'aimais beaucoup. La qualité des musiciens a fait beaucoup pour le disque. Quelque temps après, notre bassiste Herbie Flowers a joué dans Walk on the Wild Side de Lou Reed. Quand Herbie a su que nous montions ces concerts, il m'a dit : "Je viens ! A n'importe quel prix."Comment se fait-il que vous soyez plutôt connu comme l'arrangeur de Melody Nelson que comme son compositeur ?
J'ai pourtant composé l'essentiel de la musique. Serge a mis son nom en gros et le mien en plus petit. Il tirait parfois la couverture à lui, cela a d'ailleurs provoqué des brouilles avec certains de ses collaborateurs. Il avait un énorme besoin de reconnaissance. Nous n'avons travaillé que trois ans ensemble, mais nous sommes restés amis jusqu'à sa mort.Il avait participé à votre album L'Enfant assassin des mouches ?
Le producteur de Mike Brant, pour lequel j'avais composé quelques succès, avait voulu me remercier en m'offrant de produire un disque à ma convenance. Lors de l'un de ces après-midi que je passais souvent rue de Verneuil (chez Serge Gainsbourg), j'ai fait écouter l'enregistrement à Serge. La nuit suivante, il a écrit un petit conte sur un enfant tortionnaire de mouches qui finit tué par elles. L'album était déjà mixé, c'était un disque instrumental sans volonté narrative. Mais le texte de Serge, reproduit dans le livret, a éclairé cette musique d'une lumière particulière. Le disque n'est jamais sorti, car le producteur a fait faillite. Nous n'en avons pressé que quelques centaines d'exemplaires.Des années après, l'album est devenu culte. Il a fini par être réédité en CD. Dans les pays anglo-saxons, on m'en parle autant que de Melody Nelson.
Dans L'Enfant assassin des mouches, pourquoi avoir mélangé tension bruitiste et envolées de cordes ?
La "jolie musique" ne m'intéresse pas. Les moments d'émotions passent aussi par des tensions, de l'humour, des dissonances. J'ai toujours aimé mettre les défauts en lumière. Les musiques de Melody Nelson sont aussi riches de ça.Source: Le Monde
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